– représenté par: GALERIE ALB Paris & RODLER GSCHWENTER GALLERY Wien
-ALB & MR-
Tout le travail de Nicolas Pegon part de constructions d’objets hétéroclites collectés de manière méticuleuse, presque monomaniaque. Vanités, amulettes, statuettes, jouets, objets du quotidien… sont altérés, rassemblés et télescopés dans le dessein de devenir les fétiches de scènes liturgiques atemporelles et universelles.
Car il s’agit bien de ça chez Nicolas Pegon, rechercher une forme d’universalité dans l’onirisme et la confrontation culturelle. Mêlant obscène, hérétisme, lyrisme et érotisme dans des poses aussi maniéristes que chamaniques, nul ne peut vraisemblablement dire où se déroulent ces scènes.
« Tout se mélange, car tout peut être mélangé » déclare l’artiste.
D’un tracé net à un trait plus abstrait, Nicolas Pegon s’affranchit des normes et des codes du monde extérieur, pour l’intimité retrouvée chez soi après le couvre-feu, espace propice à plus de liberté.
S’il a dessiné aussi bien au crayon, au feutre et au stylo à bille, c’est le fusain qui a trouvé ses faveurs : ce dernier lui permet de reproduire l’image photographique et de « sublimer » encore la réalité en se la réappropriant nous dit-il.
Le banal y est mystifié, le merveilleux naturalisé.
Le réalisme du dessin vient renforcer la vraisemblance des scènes hallucinatoires. Superpositions de couches, de profondeurs et de noirs, la composition est dense à tel point que l’on se surprend et on se plaît à s’y perdre.
Le fusain prend ici toute sa dimension. De noir charbonneux, il refait surface au contact de la matière du support comme si nous étions en présence d’aquarelle ou de médiums divers. Le grattage de la feuille lui permet d’éclaircir et de faire vibrer la matière papier. Le corps dès lors s’y délecte dans tous ses états ; madone nimbée de papier aluminium, douche de sculpture au visage d’ange archéologique, petite Sophie scotchée dans un no man’s land abstrait… Il est intéressant d’y ressentir la moindre des surfaces; la douceur de la céramique, la rugosité de la pierre, la brillance des surfaces peintes à l’émail pour recouvrir l’objet. Observons également le fond de chaque dessin. Celui-ci est travaillé avec une volonté de faire vagabonder le regard. Un mur de briques, des carreaux, des fresques, des ombres, sont réalisés comme sujet à part entière. Des micro-narrations se déroulent à l’intérieur même d’une scène globale; le fond et la forme s’y délectent. Chaque détail a son importance. Nous assistons à des scènes de genre semies tragiques, malicieuses et bouleversantes. La poésie englobe le trait de chaque dessin de Nicolas.
Le rapport à la photographie n’est qu’une étape de son travail. Elle vient figer cet instant éphémère. L’artiste devient scénographe ; ses modèles se parent de colliers créés pour la prise de vue, les coiffures et les poses sont propres à chaque dessin. Quand il ne travaille par sur le corps, l’artiste crée des maisons de carton, où l’assemblage de jouets d’enfants, d’objets récoltés dans des brocantes, de gri-gris ou d’objets de famille, viennent composer l’image. Celles-ci seront détruites dès la prise de vue effectuée. Ces maisons/sculptures sont réduites à néant car la seule trace restante de ce mysticisme doit être le dessin. Renversant ainsi les codes classiques, la sculpture vient au service du dessin, alors aboutissement de tout ce processus créatif.
Les oeuvres de Nicolas Pegon mélangent dans son genre scénique des symboles et des rituels qui évoquent des fragments cathartiques bien subjectifs. Au regardeur de définir, d’imaginer, d’interpréter l’oeuvre et l’histoire qui découlent de ces instants figés dans le fusain.
-ALB & MR-
-Ludovic Duhamel-
Il faut s’approcher au plus près de l’oeuvre pour prendre la mesure de la prouesse… Chez Nicolas Pégon, le dessin est d’une précision telle que l’oeil s’entête longtemps à le confondre avec l’image photographique. Pourtant, c’est bien à la main de l’artiste, à sa dextérité invraisemblable, que l’on doit la scène qui s’offre au regard, et au coeur de laquelle se discernent peu à peu de savoureux détails, de subtils motifs, d’audacieuses perspectives, qui nous éloignent d’une vision résolument réaliste – ou hyperréaliste – du monde environnant. En amalgamant de façon inattendue des bribes du réel, l’artiste nous emporte dans un univers peuplé de chausse-trappes, de raccourcis improbables, de sujets baroques…
Pas un dessin qui se ressemble, Nicolas Pégon n’est pas adepte de la redite, encore moins de l’esbroufe, lui qui s’ingénie à sublimer la réalité par le biais d’une imagination en ébullition constante. Chaque oeuvre se décrypte avec gourmandise. Et patience. Maints détails apparaissent avec le temps, comme par magie, et lorsqu’on les découvre avec incrédulité, un peu estomaqués de ne pas les avoir plus tôt décelés, on prend conscience de l’incroyable densité du trait, de sa capacité à émouvoir autant qu’à intriguer, à dépeindre des visions insolites et complexes.
Etrange, ce capharnaüm regroupant, à la façon d’un inventaire à la Prévert, des statuettes, des photographies, maints objets dont on imagine qu’ils sont une manière de rébus délivrant quelque secret sur notre époque. Poignante, cette femme apparaissant à moitié nue, outrageusement fardée, qui lève à bout de bras vers le ciel des marionnettes parmi lesquelles on reconnait un Saint, comme si elle procédait à quelque rite sacré. Fascinant, cet enfant au bord de la mer, dont la tête nous est dissimulée derrière ce qui ressemble à des bandelettes, que l’artiste représente avec un doudou, peluche à laquelle il a malicieusement accolé le squelette d’une tête de lapin… Drôle, ce couple dont la fille mord à pleines dents, en riant, la joue de son compagnon, en un geste tout à la fois de tendresse et de cannibalisme, à tel point que l’expression du « mordu » oscille entre douleur et hilarité.
Chez Nicolas Pégon, le trait peut être acéré, foisonnant, léger, il n’a d’autre but que de donner de la vie une vision multiple, décalée et impertinente… L’humour, la dérision, l’amertume hantent tour à tour chacune des fenêtres que l’artiste ouvre sur ses fantasmes ou ses vertiges. Du grotesque au sublime, il n’a pas son pareil pour nous plonger dans des abîmes de perplexité au fond desquels se niche une vision de l’Art radicale et définitive : il ne s’agit pas seulement de créer du sens, de la beauté, de donner libre cours à l’imagination, il s’agit de dire le monde avec des mots qui n’ont jamais encore été associés, et dès lors d’en souligner la singularité sans cesse renouvelée.
-Ludovic Duhamel-
-Nicolas Savignat-
Les images, les représentations, les affiliations se télescopent dans le travail de Nicolas Pegon. Ses dessins s’élaborent dans une logique subconsciente, en inductions massives. Ils s’inscrivent dans une sublimation hétérogène, en marge d’un iconique. Une émotion non orthodoxe où les dégradés lumineux exaltent un sentiment indicible, à la fois volcanique et diffus. Un collage d’éléments suffisants, de motifs hétéroclites se chevauchant dans leurs altérations réciproques, leurs autarciques préciosités, leurs déficiences lacunaires.
Jeu de l’esprit à la sensualité brute, à la figuration mimétique, à la facture scrupuleuse. Une intention artificielle d’imiter un réel, réalité intérieure du sujet : impartiale, corruptible _ analogique.
Ici le sacré, le profane sont à égalité. Les pôles d’attraction sont azimutés vers un ailleurs relatif, des songes pluriels. De bric et de broc, exaltation de machineries savantes : inventives, fantasques. Baroques et Dada à profusion ! Une éloge de la substance, une apologie de la matière en autant de fétiches divinatoires, d’amulettes prophétiques : oxymores passionnés, proliférations flamboyantes, projections ritualisées…
L’exercice de cette jubilation nous transporte dans un onirisme enivrant, une réalité où la fiction est omniprésente. Une imagerie véhiculant un esprit libertaire, débarrassée d’une trame linéaire _ commensurable.
Vision d’un occulte, vertige imminent ses dessins intègrent un grand nombre d’impressions furtives issues d’expériences collectives, de propositions contractuelles. L’obscène, l’hérétique côtoient l’érotisme, le lyrisme à l’égal d’une insurrection poétique. Aussi les clefs de lecture de ses oeuvres se situent dans des déplacements sémantiques, des valeurs ajoutées en ébullition. Une virtuosité au service de l’humour, de la pétulance, des vanités amalgamées _ fusionnées… Comme autant de songes versatiles à la précision aboutie et paradoxalement à l’identité embryonnaire, impertinente dans sa saveur obsédante.
Des visions comme des élévations mégalithiques, des autels panthéistes, des anamorphoses, des métaallégories…
Un plaisir analytique, une emprise délectable des sens où l’intellectuel est aisé. L’Éros, le Thanatos, le trauma d’une psyché se régénèrent variablement dans un coït des plus vertueux _ digne.
Une cérémonie extravagante, des curiosités grotesques au gré des illusions et des caprices. Cycle des mues à la découverte de nouveaux continents peuplant le monde, en interprétations renouvelables… Autant d’approches masquant, travestissant la vie. Grilles de lecture ambivalentes, d’un devenir à actualiser indéfiniment.
À l’heure des déclarations publiques, des revendications systématiques autant pousser la porte des acteurs de l’alternatif, des rapports minoritaires. S’intéresser à l’hirsute, au rebut, à la combustion, à l’insolite, aux à-côtés ou encore à la concupiscence… La vie un mirage, l’art un extraordinaire mensonge. Magnétique. Subversif. Perpétuellement à nourrir, à enfreindre… Puis à sacrifier, à adorer ! Sans idolâtrie.
-Nicolas Savignat-
-Audrey Vermorel-
Parler de Nicolas Pegon c’est parler de quelqu’un qui n’aime pas parler de lui. Je me rappelle de cette séance à la terrasse d’un café où j’ai eu à le soumettre à un interrogatoire forcé et soutenu pour mieux connaître la bête. Et moi d’y aller de mes pourquoi, comment, où et de le voir ne s’animer et arrêter de tripoter son briquet qu’au moment où nous avons parlé crayons. En levant la tête, il m’explique qu’avant de passer au fusain, il dessinait au stylo bille mais qu’il a vite abandonné l’idée en voyant certaines de ses créations disparaître sous l’effet de la lumière du soleil. Tout artiste se verrait bien sûr chagriné de voir son travail s’étioler et disparaître comme le nom de l’être aimé qu’on aurait écrit sur le sable, trop près des vagues. Mais quand on connaît la démarche première et artistique de Nicolas Pegon, on comprend mieux pourquoi il a vite boudé le stylo au profit du fusain, un charbon qui marque, qui ancre presque, de celui avec lequel on pourrait se grimer le visage pour se mettre au combat, retourner à une ère tribale, une ère de la terre qui fait parler avec ses tripes. Un fusain, charbon de saule qui laisse des traces donc, sur le papier comme sur les mains quand on n’y prend pas garde. Et laisser des traces, avec son fusain comme avec ses œuvres, c’est bien là ce que questionne Nicolas Pegon. Comment les œuvres et leurs supports restent, persistent mais surtout comment elles vivent au delà de l’intention initiale de celui qui la crée, la produit.
Il est en ce sens un grand industriel de l’image, un de ceux qu’on aurait croisé à l’époque des Frères Lumière. Un travailleur à la chaîne qui prend un produit brut tiré d’une photo, d’un livre, d’une composition personnelle -volume en céramique ou petite chose du quotidien- pour le transformer à souhait, l’étirer, le distordre, le « patamodeler » en mixant un réalisme cru à un imaginaire, un langage bien à lui, presque magique. Il habille ainsi de mystère des éléments reconnaissables et connotés socialement pour brouiller les pistes de lecture et leur donner comme un nouveau départ. Là où il mystifie le banal, il neutralise le merveilleux. Nicolas Pegon, c’est un grand transformateur de matières, une sorte de photocopieuse laser ou scanner dernier cri qui traite du pixel, du trait ou du grain avec un sens de l’artisanat presque oldschool. De ce grand écart résultent des compositions denses, ultra cohérentes que l’on peut regarder de loin pour se faire engloutir par la masse, ou de près pour se concentrer à loisir sur un détail. Derrière ces œuvres où il mélange et superpose des corps, des objets, des cranes, des sexes bandants, du végétal, de l’animal se cache un travail de recherche et de préparation de fourmi industrieuse. Il fouille, copie, colle, compose pour mieux nous emmener et nous perdre.
Je ne savais pas comment parler de tout ce travail préliminaire et de traitement de l’image jusqu’à cette rencontre avec une fontaine de Combas à Sète. Bien cachée au fond d’un parking de la ville, elle est toute en mosaïque, mélangeant femmes et poissons dans un joyeux bordel de couleurs. Vous me direz qu’on est bien loin de l’univers de Nicolas Pegon mais on reste dans l’assemblage, un assemblage de formes et de matières qu’on essaie de voir de près, de loin et qui ne montre jamais la même chose. Le nez sur l’écran de mon appareil photo, tout s’est éclairé : les femmes, les poissons, la phrase qui parle d’intelligence et de bouillabaisse presque illisibles à l’oeil simple et nu. La photographie de l’oeuvre de Combas m’avait comme mieux permis de la voir et en rendait la lecture différente, moins brute et plus aisée. Nicolas Pegon fait exactement cela, en usant des niveaux de lecture, de la mise en abyme pour mieux nous montrer comment faire corps et rester indivisible dans un tout.
Il joue des couches, de la profondeur, de la densité des noirs pour, au détour de l’architecture du dessin, nous proposer une vision nouvelle. Il est un visionnaire qui nous emmène pour aller au-delà de la perception simple des choses, qui agence avec brutalité souvent et distorsion parfois des éléments qui n’ont rien à faire ensemble et qui finissent par former un tout qui fonctionne. Un écosystème qui fait cohabiter des humanités éloignées, des objets qui deviennent presque vivants. Comme des vanités de notre temps, celui où l’on a tout à portée de main mais où l’on peut tout perdre d’un coup, avoir tout pour créer et ne rien faire au final. Nicolas Pegon a décidé en somme d’exploiter ce monde du tout ou rien pour montrer que le champ des possibles est ouvert et que la vision que l’on peut avoir des choses est multiple mais surtout infinie.
-Audrey Vermorel-
– Chloé Alibert –
Nicolas Pegon se dépeint dans son oeuvre, il fait de son éthique un prétexte à son esthétique et s’exprime,
dialogue, pense, écrit pour un résultat qui n’est pas seulement abstrait ; mais qui est aussi abstraction.
Car son esprit est soucieux de communier directement par un discours universel en employant la répétition des mêmes
impressions et des mêmes schémas dans un rythme systématique et obsessionnel permettant à l’autre, au spectateur,
à moi, de comprendre ses pensées, de les traduire et de se les approprier.
L’anthropomorphisme est à la base de son travail. Il prête à l’animal des expressions, des désirs, des angoisses et un
érotisme humains pour se faire critique. Les têtes coupées, les corps sectionnés, les membres mélangés, rehaussés par
un propos moderne illustré par des figures évidentes de la culture pop et confondus dans un graphisme à géométrie variable
sont la manière par laquelle il verbalise son malaise que l’on peut qualifier tout à la fois de générationnel et d’universel.
Car Nicolas Pegon est à mon sens un petit génie de l’oxymore. Il dit : tout se mélange car tout peut-être mélangé,
et pourtant ! il met de la nuance dans son dessin : elle se découvre à travers la juxtaposition d’un tracé net et d’un trait
plus confus au sein de nombreuses manoeuvres graphiques. Quand il dessine en noir et blanc, je vois de la couleur ;
puis quand il met de la couleur, je vois son affection pour le noir et blanc car sa maîtrise est telle que Nicolas Pegon
s’émancipe de la catégorie : il détruit les frontières.
Cette rencontre des techniques qui, si je devais la comparer avec quelque chose que je connais, c’est-à-dire à l’écriture,
serait décrite par moi comme une tendance scripturale à la fois littérale et métaphorique, permet à l’ensemble de son
oeuvre de se faire critique sociale, culturelle, politique et de mettre en avant son rejet des discriminations, de l’individualisme,
du narcissisme, de la démagogie ; en somme, des heureuses déviances de notre XXI ème siècle.
Nicolas Pegon prend, écrase, coupe, étire, modèle, aplatie au même niveau et mélange tout, car tout peut être mélangé.
J’aime la transparence de cet artiste qui dit tout et qui montre tout, alors même qu’il sectionne et ne montre finalement
que des choses en morceaux.
– Chloé Alibert –
Minutieux, abstrait et figuratif à la fois, le dessin de Nicolas Pegon opère un assemblage métaphorique de l’Homme et de l’animal à travers un environnement cosmique où l’organique règne. Mêlant de nombreuses techniques, il additionne et combine des éléments emprunts d’un univers riche et sexué.
l’artiste esquisse abruptement des fragments humains tandis que la précision du trait est réservée aux corps animaliers. Dès lors, la réflexion du dessinateur apparaît : la nature domine l’homme comme si par le dessin Nicolas Pegon cherchait à mettre en place une étude anthropologique de l’espèce humaine. Plusieurs plans s’accumulent : le plan géométrique qui vient compléter celui de l’organique. Au fil des séries, les couleurs s’estompent et la vanité est de plus en plus marquée.
-Le mauvais coton-